"Gore" avait les atours de l'album culte. Une pochette originale, avec le titre qui s'impose comme une évidence, classe, et en même temps oxymore de cette sérénité véhiculée par l'image de ces flamands roses en vol. Puis une mise en avant annoncée des influences New-Wave de Moreno, dont "White Pony" est l'avatar.

Mais non.

Non parce que DEFTONES a fait exactement l'inverse de ce qui fait la force de "Saturday Night Wrist". Ce dernier, avec son artwork et son titre mensonger quant au contenu viscéral de l'album, était, et continue d'être impressionnant. Cette tendance de DEFTONES à faire croire à la douceur de ses albums par l'artwork, comme sur "Diamond Eyes", voilà ce que j'attendais de "Gore". Un vol de flamands roses mais une brutalité en opposition totale. De la surprise que diable !

Cependant "Gore" a été surprenant en un sens puisqu'il a dynamité mon horizon d'attente. C'est un album qui est en accord avec son artwork : calme, doux, beau et définitivement aérien. C'est leur album le plus posé, le plus travaillé sur le chant avec "Koi No Yokan". Comme on pouvait le craindre dans les interviews de Carpenter la guitare lourde n'est pas vraiment là. Elle se fait timide sur certains titres pénibles ("Doomed User") ou répétitifs au possible comme "Acid Hologram"'. Elle qui était une marque de fabrique de DEFTONES n'est plus qu'un accessoire amené pour conclure avec facilité des morceaux classiques, qui reposent sur une structure couplet-refrain bien plus conséquente que sur leurs précédents albums (le morceau éponyme).

Il n'empêche que "Gore" possède son lot de moments efficaces. Il est indéniable que le chant de Moreno y est pour beaucoup. Il a en effet l'air d'être le seul à s'éclater dans ce disque et soutient des refrains très accrocheurs ("Phantom Bride" est vraiment magnifique). Certains titres sont superbes, inutile de se mentir. "Prayers/Triangles" et sa mélodie spatiale mémorable, "Hearts/Wires" et sa progression dramatique ou "Rubicon" aussi magnifique que tragique. "Gore" est en définitive un album en dents-de-scie, dont une bonne partie des morceaux s'avère dispensable ("Pittura Infamante", "Geometric Headress") mais qui possède un charme étrange.

Ce charme est d'ailleurs ce qui pousse l'écoute encore et encore. "Gore" est certainement l'album de DEFTONES le plus cohérent, celui qui se lit d'une traite, comme une même histoire. Loin d'être parmi leurs meilleurs albums il est un bon disque, ce qui, pour DEFTONES, est un adjectif péjoratif.