MYRATH nous avait laissé en 2019 avec un Live de toute beauté ("Live In Carthage") qui clôturait de la plus belle des manières une première partie de carrière amplement réussie, laquelle a surtout permis à la talentueuse formation franco-tunisienne de gagner sans cesse en notoriété et popularité. En cinq ans, de l’eau a coulé sous les ponts et il est à noter que Elyes Bouchoucha, tête pensante et claviériste au sein du groupe (et même chanteur sur le triomphant "Hope") depuis les débuts ne fait plus partie de l’effectif et a donc laissé l’entière place derrière les claviers à Kevin Codfert (ex ADAGIO) qui suit le groupe depuis de très longues années (producteur, ingénieur du son et claviériste).

Côté musique, tuons le suspense de suite, "Karma" risque d’en décontenancer plus d’un, au prime abord en tout cas. Comme je l’ai d’ailleurs été, j’avais pourtant été prévenu (!), avec au programme des compositions plus directes, plus Pop, plus 'commerciales' aussi (même si depuis quelques albums, MYRATH avait déjà allégé le propos avec des titres plus easy listening mais très réussis tels que "Believer" ou bien encore "Dance"), si on peut dire ça comme cela, et qui montre incontestablement la volonté du groupe à se détacher encore plus d’une étiquette, sans doute trop restrictive, et clivante (?), qu’il a sur le dos à savoir le Metal Progressif. De l’aveu même de Zaher Zorgati, MYRATH souhaite devenir encore plus grand et conquérir de nouveaux fans. Cela a le mérite d’être clair. D’un point de vue musical, il est évident en tout cas que MYRATH vient avec "Karma" de franchir un nouveau palier au risque donc de désappointer les fans de la première heure.

Car oui, "Karma" peut déboussoler, désorienter, et étonne incontestablement par la tonalité de certaines de ses compositions. Que ça soit au niveau des guitares dont les sonorités plus 'Rock' sont un peu différentes par rapport à d’habitude ("Candles Cry", "Heroes", "Let It Go"), l'ensemble est plus lisse, ou au niveau des lignes de chant souvent plus Pop de la part de Zaher Zorgati (le mid-tempo "Carry On" sur lequel on flirte avec le style d'un WITHIN TEMPTATION) qui reste néanmoins magistral sur le disque. Quelques nouveautés et curiosités donc à l’instar par exemple de "Candles Cry", titre pour le moins créatif, presque dansant et aux phrasés pour le moins atypiques avec un refrain pour le moins surprenant et des influences Pop (j’y ai même retrouvé des chœurs que l’on peut retrouver sur des compositions de MADONNA c’est pour dire), de "The Wheel Of Time" sur lequel Zaher explore vocalement et par endroits de nouveaux horizons (limite MUSE sur les bords, si vous voyez ce que je veux dire) tandis que MYRATH propose là même quelques lignes atmosphériques surprenantes (et complètement inhabituelles), limite planantes, alors que dans le registre easy-listening le point culminant est incontestablement atteint avec "Words Of Failing", très Pop contemporain dans l’esprit je trouve, limite variétoche même avec des vocalises très lisses et légèrement bidouillées (auto-tunées) de Zaher et quelques arrangements modernes. Ce titre peut incontestablement froisser.

La bonne nouvelle c’est que ces titres, malgré leur apparat franchement plus Pop et easy-listening donc, contiennent toujours des passages franchement catchy et musclés (ouf !) - l'équilibre est proche de la perfection - et font preuve d’une musicalité hors-norme. Comme bien souvent chez MYRATH d’ailleurs. Les orchestrations grandioses, les mélodies souvent lumineuses ("Heroes"), et les arrangements fins tous plus méticuleux les uns que les autres ("To The Stars") sont pour ainsi dire d’un niveau époustouflant, transcendés il faut bien le reconnaître par une grosse production, qui sans en faire des tonnes, fait vraiment honneur à l’ensemble des instruments, je pense notamment à la batterie de Morgan Berthet souvent mise en évidence ici (sur le lancinant "The Empire") et à la basse d’Anis Jouini, à qui on a laissé cette fois une place très confortable, pour ne pas dire prépondérante dans le mix judicieux du disque - merci Jacob Hansen! - ("To The Stars", "The Empire", "The Wheel Of Time"…). Mine de rien, on aurait pu croire que le groupe perdrait un tant soit peu de son identité, ce qui peut être en partie vrai mais pas totalement non plus, soyez-en rassurés !

En effet, et même si les origines et épices maghrébines se font sans doute ici plus discrètes (tout est relatif !), les compositions contiennent toujours les paysages sonores symphoniques habituels, toujours aussi luxuriants, et toujours agrémentés de lignes et mélodies orientalisantes (flagrant sur le fédérateur "Temple Walls", ou ce pont atmosphérique absolument sublime sur "Into The Light", percussions sur "Child Of Prophecy"…). Cela a toujours été la marque de fabrique de MYRATH, et cela a toujours contribué au charme de sa musique. Cela, MYRATH l’a très bien compris et intelligemment n’a donc pas commis d’erreur irréparable. En cela, la personnalité et l’identité du groupe sont ici préservées, là aussi soyez rassurés.

MYRATH explore donc de nouveaux horizons, influencé par la Pop, le classique même mais également par ses aïeuls du Heavy Metal, tant et si bien que certains titres sonnent aussi très Heavy 80. On pourra citer bien évidemment ce "Let It Go" enlevé et doté d’un refrain très Heavy Mélodique mais complètement addictif avec en prime de très belles orchestrations, grandiloquentes à souhait, avec un côté un peu théâtral aussi (le pont est plutôt bien foutu d’ailleurs), qui mettent en avant la nouvelle facette de MYRATH. Une facette accrocheuse, plus Rock donc, qui ne manque véritablement pas d’attrait et qui risque d’en conquérir plus d’un en live. Les festivaliers du dernier Hellfest ont déjà pu apprécier puisque MYRATH y avait déjà dévoilé quelques titres de "Karma".

À l’image même de ce "Heroes" un poil plus rentre-dedans mais lui aussi doté d’une musicalité hors-norme avec de jolis chœurs et les claviers de Kevin qui enrobent de manière très judicieuse l’ensemble, une mélodie à en faire frémir plus d’un, ce qui n’empêche pas MYRATH, là encore de nous proposer des passages plus musclés avec une rythmique presque groovy mettant en valeur non seulement un Morgan Berthet martelant ses fûts avec efficacité et précision et la basse d’Anis Jouini jouissant d’un gros son bien ronronnant.

Si MYRATH a donc mué vers des compositions plus simples, moins progressives que par le passé (cf. les similitudes avec SYMPHONY X sur les deux premiers opus "Hope" et "Desert Call"), il n’en oublie pas pour autant de glisser ici encore quelques touches de Metal Progressif. Que ce soit au niveau de la sonorité de quelques guitares, je pense notamment au démarrage de "To The Stars" et ce bref paysage sonore à la CRIMSON GLORY ou bien encore au niveau des structures comme sur ce "Child Of Prophecy" assez élaboré et qui débute comme une jolie ballade (violon/piano et mélodie presque touchante) avant de proposer là aussi des passages plus complexes et presque lancinants. Un titre qui démontre là encore tout le savoir-faire des Franco-Tunisiens. Du grand art, même si on regrettera que "The Empire" qui suit "Child Of Prophecy" offre une franche similitude dans sa progression d’accords.

Malgré une évolution musicale certaine, marquant également une prise de risques que MYRATH a certainement réfléchie et mesurée dans son désir de conquérir de nouveaux fans, "Karma", qui a nécessité deux ans de travail, s’affirme réellement au fil des écoutes et demeure un disque pour le moins flamboyant et beaucoup plus lumineux que son prédécesseur. Je trouve qu’une nouvelle fois MYRATH n’a pas fait les choses à moitié, l’ensemble étant d’une incroyable musicalité même si je ne dirais pas que "Karma" est un chef d’œuvre absolu.
Mais force est de constater que le groupe a franchement bien travaillé. À commencer, et je n'en ai pas encore parlé, par le très discret Malek Ben Arbia qui effectue là encore un travail admirable et qui n’a de cesse d’étoffer son registre depuis des années. Il délivre là encore une prestation Masterclass avec des soli pour le moins diversifiés tantôt techniques, tantôt aériens ("The Wheel Of Time") et qui épousent merveilleusement la nouvelle tonalité des compositions ("Heroes", "The Empire").

À coup sur, "Karma", premier disque de l’ère post-Elyes Bouchoucha, marque là un vrai tournant dans la carrière du groupe. On notera d’ailleurs le léger changement du logo MYRATH sur l’artwork du disque, signe qui est loin d'être anecdotique. Sans marquer une totale rupture avec le passé (loin de là), MYRATH opte donc pour une mue en douceur, propose réellement de nouvelles choses (au risque cependant d'en décevoir certains) et s’en sort véritablement avec les honneurs. Il nous offre là un très joli album, actuel, contemporain, très fouillé, incroyablement mélodique bien évidemment et qui saura je le pense conquérir de nouveaux fans.

Chapeau Messieurs pour la prise de risques et pour ce résultat littéralement resplendissant !

Morceaux préférés : "Into The Light", "Child Of Prophecy", "Heroes", "Temple Walls".