En 1980, MOTÖRHEAD est un groupe qui a vraiment le vent en poupe. Outre les sorties qui s’enchaînent ("Overkill" et "Bomber" sont sortis la même année, accompagnés par "On Parole", le véritable premier album qui n’avait jamais vu le jour et que United Artist avait décidé de publier finalement vu le succès de Lemmy et sa bande, suscitant vous imaginez bien la ire de sieur Kilmister, un EP live "Golden Years" est édité début 1980), la formation arrive à maintenir un très haut niveau avec son Rock’N’Roll sale et teigneux, terriblement instinctif et complètement intemporel. "Ace Of Spades" va simplement se contenter d’enfoncer le clou, mais avec la manière !


Cette fois-ci, ce n’est plus le légendaire Jimmy Miller qui est derrière les manettes (son addiction à l’héroïne ne devait pas plaire à Lemmy qui rejetait cette drogue violemment), mais Vic Maile qui avait entre autre produit le "Live At Leeds" des WHO ou encore le "Biggest Prize In Sport" des Punks de 999 et qui avait une culture Rock solide, de quoi bien s’entendre avec Lemmy. Vaile va réussir à booster le son du groupe, l’épaissir, lui apporter une agressivité nouvelle sans pour autant tomber dans le bourrinage intempestif ou dénaturer le style du groupe. "Ace Of Spades" est un disque d’une efficacité bluffante, chaque titre est conçu comme un glaviot bien gras et acide.


Une fois n’est pas coutume, Joe Petagno n’est pas derrière la pochette, il s’agit ici d’une des rares jaquettes où le groupe pose pour une photo. Et contrairement aux apparences, elle n’a pas été prise au Nevada, mais dans une carrière de Barnet, au nord de Londres. Nos pistoleros livrent là une pochette qui allait devenir culte. Le disque qu’elle contient ne le deviendra pas moins. Demandez à des mecs comme Lars Ulrich, James Hetfield, Scott Ian ou encore Bobby Ellsworth ce qu’ils en pensent. Même ma grand-mère aurait pu vous en parler, elle qui trouvait dommage que la musique soit aussi bruyante alors que Fast Eddie Clarke « présentait si bien ». Ou quand je réalise que mamie avait un crush sur le guitariste…


Mais là où elle n’avait pas tout à fait tort, c’est qu’en 1980, ce disque a dû paraître très bruyant. La basse est à nouveau bien gonflée, bien mise en avant, Taylor martyrise ses fûts comme jamais, frappant comme une mule, Clarke possède peut-être un son moins classe que sur "Bomber", mais son jeu reste d’une efficacité redoutable ; MOTÖRHEAD passe du bombardier au char d’assaut, il écrase tout sur son passage. Je vous disais que le mot d’ordre était « efficacité ». Allez regarder dans le dictionnaire, normalement il est indiqué qu’"Ace Of Spades" en est un synonyme.


Le title track en est, à ce titre, écoeurant. En moins de trois minutes, les musiciens nous font une véritable leçon de Rock’N’Roll épileptique à souhait, le trio est au diapason et livre une des plus grandes partition de l’histoire du genre, rien que ça. Le groupe pousse le genre à son paroxysme sans tomber du côté Heavy Metal de la force. L’urgence du titre est totale, sa frénésie se transforme pour nous, auditeurs, en shoots d’adrénaline pure. Nous sommes en 1980 et MOTÖRHEAD offre au monde une leçon de violence.


Cependant, il ne faut pas croire que "Ace Of Spades" soit un arbre qui cache une forêt ou un épouvantail. À l’instar d’"Overkill" qui aurait pu être phagocyté par son title track, le disque est composé de morceaux forts, qui peuvent tenir tête à cet opener de l’Enfer. Si je pense en premier lieu à "(We Are) The Road Crew", "Love Me Like A Reptile", "Shoot You In The Back" ou encore "Live To Win" se défendent déjà très bien tout seuls. Les morceaux sont ici relativement calibrés, taillés dans la roche la plus dure pour offrir de parfaits parpaings à s’envoyer dans la tronche. Ce n’est pas aussi flamboyant que la chanson "Ace Of Spades", mais cela reste rudement… efficace. On y revient encore.

Et donc il y a "(We Are) The Road Crew" qui se permet de rivaliser sans trop de peine avec le title track. Vous pensez que j’exagère ? Que j’en fait trop ? Que "Ace Of Spades" est la tuerie-ultime-on-ne-peut-pas-faire-mieux ? Pourtant, "Road Crew" est un petit bijou du genre. Déjà, il ramène les hostilités sur un terrain plus Heavy. Et quand je dis Heavy, je parle de lourdeur du son, pas du style, à ce moment MOTÖRHEAD n’est en aucun cas un groupe de Heavy Metal. Il y a cette frappe de mule de Taylor pour un pattern abrutissant tant il est régulier, le chant tout en agressivité de Lemmy qui a décidé de ne pas faire dans la dentelle et Fast Eddie… Mon dieu, Fast Eddie Clarke ! Son solo ici est tout bonnement l’un des meilleurs de sa carrière. La chanson parle des roadies, hommage du groupe aux mecs de l’ombre dont Lemmy avait fait parti jadis, pour Jimi Hendrix. Le solo lui, est au début noyé dans les larsens et la distorsion avant de devenir plus clair, plus limpide, comme si le guitare-tech avait trouvé les bons réglages. Un de mes morceaux préférés du groupe, mais je pense que vous l’avez compris.


Le reste est d’excellente qualité également. "Fire Fire" dépote en ouverture de face B, "Jailbait" s’inscrit comme un classique instantané, "The Hammer" défonce tout pour clôturer le disque juste après un "The Chase Is Better Than The Catch" jouissif à souhait. Et pourtant, l’ensemble sonne de façon très monolithique, sans trop d’aspérités ou de reliefs vraiment pentus. Le groupe a aligné une telle qualité le long de ces un peu plus de 36 minutes que cela ressemble à un énorme diamant, mais du genre joliment travaillé, pièce maîtresse d’un artisan à la main sûre. Le genre de disque que l’on ne produit qu’une fois dans sa vie. D’ailleurs MOTÖRHEAD ne refera jamais aussi bien en studio. Ils arriveront à taper fort, voire très fort, mais jamais en conservant tout du long la même qualité.


"Ace Of Spades" termine une trilogie magnifique initiée l’année précédente par "Overkill". En un an et demi, le groupe va donc aligner trois classiques du Hard Rock de façon complètement décomplexée. En jouant roots, en se nourrissant du Rock’N’Roll comme le power trio le faisait, il arrivait à créer une musique fédératrice et indémodable, qui sonne toujours aussi bien aujourd’hui. Certains albums de MOTÖRHEAD ne peuvent pas s’en vanter mais ces trois-là sont la sainte trinité du groupe. Et le live qui va s’ensuivre est une tuerie supplémentaire, qui va parfaitement synthétiser tout cela. Monstrueux, tout simplement.