Voulez-vous jouer avec moi ?

Je vous propose de jouer au jeu de la devinette. Il n'y a rien à gagner, juste le plaisir de jouer.

Quel est le point commun entre Christopher Lee, Keanu Reeves, Tom Cruise, Brad Pitt et... les Inconnus ?

Vous allez me répondre que je suis complètement timbrée et je vais vous rétorquer que vous n’imaginez pas à quel point. Alors vous trouvez ou faut-il que je vous donne un indice ?
Comme j'ai pitié de vous, j'accepte de vous aider et de vous en donner un, mais un seul dans ce cas : le sang, l'hémoglobine en somme.

Maintenant c'est bon, vous avez trouvé ce point commun ?

La réponse est bien évidemment l'univers des vampires.
Et oui, de la Hammer à Coppola, de Twilight au rap-tout des Inconnus, les vampires sont plutôt bien représentés dans les arts quels qu'ils soient jusqu'à investir la pop culture.
Sans savoir pourquoi, cet univers a toujours eu un effet extrêmement impressionnant et inquiétant à la fois chez moi et depuis toute petite. Tout le fantasme autour du Comte Dracula et la construction du mythe depuis l’œuvre de Bram Stoker, m'ont poussé à me poser cette question : et s'il avait vraiment existé ? Où se termine la réalité et où commence le mythe ?  Parfois les nuits de pleine lune, mon imaginaire choisit le mythe pour mieux me perdre dans mes angoisses et les souvenirs de mes cauchemars d'enfant.

C'est cet univers que le groupe CREEPER, créé en 2014 à Southampton, adopte sous l'impulsion de son chanteur Will Gould et de son guitariste Ian Miles. Gould explique que l'idée lui est venue au terme des confinements liés au COVID et l'envie de revenir sur scène. Comme un nouveau souffle qui tranche entièrement avec les EP et albums précédents.

Gould et Miles nous offrent ici un travail de composition et d'écriture des textes remarquable et nous montrent toute l'alchimie qui a pu se dessiner entre eux. Ils incarnent avec une telle délectation leurs personnages, que le sang coule à flot sur leurs lèvres dans leurs vidéos, très inspirées des films d'horreur des 70's ou 80's.
Je vais être honnête avec vous. Je n'avais jamais entendu parler de CREEPER avant cette année 2024, jusqu'à la recommandation d'un ami qui connaît visiblement très bien mes goûts. Une fois de plus, mon spectre musical a été chamboulé à merveille grâce à lui, et l'album "Sanguivore" sorti en 2023, a été ma porte d'entrée dans le groupe et ce à tel point qu'il fait partie pour moi des meilleurs albums de 2023. Voilà c'est dit.

"Sanguivore" est un concept album basé sur les vampires nous plongeant dans une atmosphère horrifique et sensuelle. Il conte l'histoire d'amour entre Mercy, une vampire ancrée dans la violence et Spook, un homme plutôt d'âge mûr mais manipulé par Mercy. Le dénouement de l'histoire amène Mercy à retrouver une part de son humanité.

Dès la première écoute, j'ai été séduite par le morceau d'ouverture, et quel morceau s'il vous plaît, juste une modeste pièce théâtralisée de plus de 9 minutes qui semble faire écho de suite a "Bat Out Of Hell" de MEAT LOAF. Will Gould ne s'en cache pas, car il s'agissait ici pour lui de rendre hommage au travail collaboratif de MEAT LOAF et du compositeur Jim Steinman, avec "Further than Forever". Cette œuvre grandiloquente reprend parfaitement les codes des comédies musicales en parallèle à celle de MEAT LOAF, sans pour autant la copier et c'est là tout le génie de ce groupe. Cette composition est magnifique, tout en progression avec des parties qui se succèdent parfaitement bien les unes aux autres. Plusieurs écoutes s'avèrent utiles afin de mieux percevoir cet enchaînement d'ailleurs.

La rencontre avec Tom Dalgety, producteur de GHOST entre autres, y est peut-être pour quelque chose dans ce résultat final. Alors quand deux admirateurs de Steinman et MEAT LOAF, que sont Will Gould et Tom Dalgety, se réunissent, leur contribution ne peut être que majeure. Le travail de Dalgety a été double, à la fois co-scénariste et producteur, mais aussi notons qu'il a été capable d'offrir une orientation très 80's et début 90's au niveau du son.

La particularité de "Sanguivore" réside dans son éclectisme avec des inspirations revendiquées par le groupe qui vont dans tous les sens : les MISFITS ("Chapel Gates"), Nick CAVE AND THE BAD SEEDS ("The Ballad Of Spook And Mercy"), DEPECHE MODE ("Black Heaven"), GHOST ("Sacred Blasphemy"). Gould cite également SISTERS OF MERCY, DANZIG et The DAMNED. Cet opus n'est pas un album de Hard Rock comme les autres tellement il emprunte de nombreux genres, et pourrait même sembler être inclassable : un peu Rock, un peu Punk/Gothique, un peu Hard Rock en même temps. Au final, peu importe non, tant que la magie opère.

Pris à part, les titres sont particulièrement mémorables, accrocheurs et mélodiques, puis confondus dans la globalité de l'album, ils forment un tout très bien construit. Ils s’enchaînent ainsi de manière très cohérente, jusqu'à l'épilogue avec cette superbe ballade qu'est "More Than Death" tout en puissance avec des harmonies vocales apportant toute la profondeur et de la dramaturgie nécessaire à l'histoire qui nous est contée.
Celles-ci sont d'ailleurs disséminées sur tout l'album, ainsi le titre le plus parlant à ce sujet est pour moi "Cry To Heaven" qui en regorge. Il s'agit là d'un pur morceau de Hard Rock avec une accroche typique du genre, mais qui a la particularité de s’imprégner dans votre cerveau sans jamais atteindre l'overdose. Les harmonies contribuent à apporter de la profondeur, répondant ainsi au riff ultra efficace et assez simple finalement, là où la voix du chanteur, certes singulière, prise séparément, ne peut pas avoir toute cette amplitude. J'invite tous les chanteurs, bons ou mauvais, à reprendre le refrain dans leur salle de bain. Vous verrez à quel point il est libérateur, expressif et addictif.

"Sanguivore" est donc un album riche en ambiances et en influences, qui pourra en déconcerter certains mais surtout en réjouir d'autres. Il incarne une véritable évolution dans la discographie du groupe qui était axée sur un registre plus Punk/Rock jusqu'à présent. N'ayez aucun a priori et jetez vous sans hésiter sur cet album. Laissez vous surprendre par ce Hard Rock vampirique, bénéficiant d'une production très actuelle repoussant toutes les barrières et osant presque tout.

Mes titres préférés sont "Further Than Forever", "Cry To Heaven" et "More Than Death", pour ne citer qu'eux, car le tout est très qualitatif. Je limiterai ma note à quatre étoiles, parce qu'avec cette évolution, j'attends encore plus de CREEPER à l'avenir, lequel s'annonce très prometteur.