Bon sang je me mets à la place de Sascha Paeth et Charlie Bauerfeind quand ils ont dû voir débarquer ces cinq énergumènes du Brésil : Rafael Bittencourt le fondateur accompagné de son collègue six-cordiste virtuose Kiko Loureiro, son bassiste expert Luis Mariutti (qui ne ressemble pas encore à Jésus), son chanteur et claviériste Andre Matos au talent pour le moins précoce (il a seize ans quand sort son premier album avec VIPER) ainsi que leur batteur Marco Antunes.

Ces cinq-là bénéficient d'une alchimie assez dingue ; ils pratiquent un Heavy qui doit autant à HELLOWEEN qu'aux grands compositeurs classiques ou encore à QUEEN dont les songwriters sont tous des admirateurs. Ils vont sonner le réveil de la scène Heavy européenne, encore toute sonnée par la vague alternative du début de décennie. Mais Rome ne s'est pas faite en un jour, la carrière d'ANGRA non plus. Car même si le groupe va vite faire son trou en France notamment, le véritable succès n'arrivera que trois ans plus tard avec "Holy Land".

Déjà il a fallu se faire aux conditions et exigences du milieu professionnel, signant la fin de l'aventure pour Marco Antunes dont les performances ne parvenaient pas au niveau attendu. Le bec dans l'eau et avant de pouvoir recruter Ricardo Confessori, c'est Alex Holzwarth qui fait le mercenaire sur ce disque, et le moins qu'on puisse dire c'est qu'il le fait avec talent, respectant l'articulation subtile de la musique d'ANGRA, et la richesse de ses structures. Car le duo Bittencourt/Matos est aussi génial que précoce. Co-signant la quasi-totalité de son premier album, il présente un Heavy Metal repensé, réinventé, embrassant totalement son bagage classique (et bientôt ce sera sa musique traditionnelle) dont la qualité et la force d'interprétation n'ont pas perdu une once de leur génie vingt-cinq ans plus tard.

Des performances vocales démonstratives, théâtrales, mais surtout incroyablement engagées d'un Andre Matos qui ferait passer Kiske pour un baryton, aux soli supersoniques voire harmonisés qui tirent dans tous les coins, sans oublier des rythmiques et riffs qui ne copient pas les aînés, des structures travaillées pour ne pas dire presque ampoulées ("Never Understand" et son ultime solo de basse), "Angels Cry" est un cocktail détonnant à la cohérence incroyable, où le calme vient après la tempête pour mieux embarquer l'auditeur dans son sillage, usant avec une rare perfection tous les codes du Heavy, et délivrant une série de titres tous plus rutilants que les autres : de l'inénarrable hymne "Carry On" en passant par le sensible "Stand Away" ou l'échevelé "Angels Cry", la reprise culottée de "Wuthering Heights" qui va si bien au groupe, ou encore l'enjôleur "Time", ANGRA frappe juste et à tous les coups.

Premier essai et premier chef d'œuvre, qu'il parviendra au moins à égaler (selon les avis de chacun) en 1996, "Angels Cry" fait partie des albums essentiels du mouvement True Metal et il en est peut-être le premier et sans doute l'un des plus raffinés.