Voila un album légendaire de l’underground. Un vrai cette fois, pour lequel le qualificatif n’est pas usurpé ou ne sert pas à dynamiser une chronique (oui, on a de ces trucs, il faut le reconnaître). Animé par la forte personnalité qu’est Wojtek Lisicki (le maître d’œuvre du génial groupe de Power Metal LOST HORIZON), LUCIFERION lance au milieu des années 90 une bombe qui va circuler avec fluidité dans les réseaux metalleux et poser de nouveaux jalons dans les univers musicaux de nombreux artistes. Un album légendaire aussi parce que les Suédois vont mettre huit ans à lui donner un successeur, faisant accéder ce premier opus au rang de référence : "Demonication", constitue la quintessence du Black/ Death, réalisée par un groupe qui a fait tellement bien, tellement vite, qu’il ne parvient pas ensuite à ramasser suffisamment ses forces pour produire quelque chose d’aussi bon ("The Apostate" sorti en 2003, lui sera très inférieur, le groupe splittant la même année).

La musique de LUCIFERION s’alimente à plusieurs sources : le Black, le Death, des soli très Heavy, mais surtout un côté dark perceptible à la fois dans les compos et les ambiances. L’intro, qui recrée le décor d’une messe noire, est troublante, installe un vague malaise et se trouve enchainée à un superbe morceau d’inspiration classique qui élève et transporte. Par ce rapide aller-retour des enfers au ciel, LUCIFERION s’assure une prise sur l’auditeur qu’il ne relâchera pas. Et tout d’abord grâce à la voix rocailleuse de Michael Nicklasson (bassiste de DARK TRANQUILLITY par ailleurs), qui fait merveille et grâce à un batteur, Peter Weiner, dont le jeu technique et plein de feeling sublime les titres. Les lignes de guitares prélèvent le meilleur de groupes comme MORBID ANGEL, DEICIDE, CELTIC FROST, CORONER, IMMOLATION ou SODOM (dont le "Blasphemer" est repris). Hormis ces quelques éléments, LUCIFERION paraît difficile à situer dans la production de l’époque et la faible discographie du groupe rend encore plus difficile cette recherche en paternité. C’est aussi une des clefs du succès. Disons que par moment ça évoque le "Ceremony Of Opposites" de SAMAEL, pour ce coté très obscur, presque rituel, mâtiné de riffs Death puissants (et pas lourds) magnifiés par une production incisive et particulièrement soignée assurée au fameux studio Fredman (le perfectionnisme des musiciens est d’ailleurs salué).

Des choses étranges habitent cette musique ; choses dont on ne sait pas bien d’où elles viennent, conférant une inquiétante étrangeté à l’album : on pense aux coups de cymbales cristallins de "Graced By Fire" qui arrivent en contretemps, suivis par un solo magnifique qui pourrait être léger mais qui se trouve complètement perverti et rendu angoissant par le jeu de la guitare rythmique. L’utilisation des synthés et des passages mélodiques, souvent très noirs et cabalistiques, arrivent également lorsqu’on ne les attend pas et surtout, s’imposent dans le silence des autres instruments, accentuant leur effet performatif. On nous fait bien comprendre que le Mal est partout mais par touches, aux endroits où ça fait vraiment mal (écoutez le somptueux passage atmo de "Rebel Souls").

Attention : "Demonication" a sa volonté propre, il suit de multiples voies dans notre imaginaire. Opus doté d’une seconde vie, en dehors du moment d’écoute, il tracera son propre chemin en vous, trouvera des relais dans les recoins de noirceur plus ou moins vastes qui vous habitent et s’y installera durablement.

4,5/5.