L’univers de JRR Tolkien a toujours fasciné et s’est toujours plutôt bien prêté à une adaptation lyrique au milieu du Metal, entre les formations empruntant leurs noms à l’univers étendu (AMON AMARTH, BURZUM, CIRITH UNGOL, GORGOROTH… la liste est longue) où celles qui en ont fait leur sujet d’expression principal (BATTLELORE, SUMMONING), on peut dire que l’écrivain d’expression anglo-saxonne a marqué la communauté Metal.

BLIND GUARDIAN a lui aussi souvent abordé l’univers de Tolkien dans ses textes, "Lord Of The Rings" ou "The Hobbit" pour ne citer que les plus explicites. En ce printemps 1998, alors qu’un chef d’œuvre du Speed Mélodique sort quasi chaque semaine, la formation de Krefeld saute le pas du concept album. Il ne s’attaque pas au mythique « Seigneur Des Anneaux », trop facile ! Non, le groupe préfère s’attarder sur les homériques aventures du Premier Âge de la Terre du Milieu, relatées dans « Quenta Silmarillion » œuvre précédant les évènements du Seigneur Des Anneaux, intervenant eux à la fin du Troisième Âge, rédigée par le facétieux JRR tout au long de sa vie et parue grâce à son fils accompagnée d’autres récits des Jours Anciens : « Le Silmarillion ».

Comment BLIND GUARDIAN va-t-il accommoder son Heavy furieux et véloce à cet univers certes gâté niveau batailles et chevauchées épiques mais empli également de tristesse et de moments plus graves ? Aux services de Flemming Rasmussen vont venir à le rescousse du fol projet des Allemands Piet Sielck, qui outre son savoir-faire technique, s’avèrera précieux pour accompagner Hansi sur les chœurs magistraux qui émailleront ce nouvel opus intitulé "Nightfall In Middle Earth" (toute ressemblance avec le nom d’un webzine de chroniques Metal est parfaitement voulue), et Charlie Bauerfeind, à même d’apporter la grandiloquence vers laquelle BLIND GUARDIAN va tendre pour les années à venir (mais seulement sur les interludes pour le moment).

Il est indispensable de connaître un minimum le « Silmarillion » pour saisir la profondeur du travail réalisé par les Allemands sur cet opus. Qu’il s’agisse d’une sérénité empli de spleen sur "Nightfall" comptant parmi les plus grands classiques du répertoire des Allemands, ou encore d’une rage de vaincre comme sur "Into the Storm" ou encore l’affrontement qui jettera la malédiction sur les Noldor relatée à travers le définitif "Mirror, Mirror" et le triste "The Eldar" où Hansi n’a jamais démontré autant de finesse vocale. "Nightfall…" inaugure d’une période chaotique pour BLIND GUARDIAN qui le verra paradoxalement acquérir un succès de plus en plus large et changer en profondeur musicalement en expérimentant un maximum, et ce jusqu’à l’opus de 2006 qui les verra perdre leur batteur historique.

L’innovation est au cœur de "Nightfall In Middle Earth". Le mid-tempo se fait une place de choix, révélant les hits maintenant devenus incontournables "Nightfall" et "Time Stands Still (At The Iron Hill)". Chaque titre est lié au précédent par un interlude parlé ou chanté, notamment celui qui introduit le terrible "The Curse Of Feanor" co-écrit par les quatre membres du groupe. Toutefois, BLIND GUARDIAN sait toujours tabasser et montrer sa rage ("Into The Storm", "When Sorrow Sang", cette dernière n’aurait d’ailleurs pas dépareillé sur l’opus de 95).

Gâché par une production sèche montrant les limites de Flemming Rasmussen face à l’évolution mélodique nette et inaltérable du Gardien Aveugle (le travail d’André Olbrich tout au long de la galette est impressionnant, tant dans les harmonies que les soli, quasi tous mémorisables), "Nightfall In Middle Earth" révèle aussi qu’Hansi Kürsch n’est pas qu’un hurleur talentueux, mais l’une des voix les plus uniques et incroyables du Metal mélodique, et même si le mixage ne lui rend pas justice, c’est bien cet opus qui élève le vocaliste et ses compères au rang de dieux du Metal. Même s’il s’avère au final moins ultime que son prédécesseur, voilà l’album de BLIND GUARDIAN à connaître.