BLACKBRAID incarne toute la tristesse de la dépossession culturelle amérindienne. Ainsi que l'a écrit fort justement mon comparse Dark Beagle, "Je pense que c’est un passage obligé, cet héritage culturel érigé en clichés par Hollywood." Passage obligé oui. Pour avoir conduit souvent dans les réserves autochtones du Québec, je ne peux que confirmer ce que Renaud Camus appelle "le Petit Remplacement", soit la déculturation d'une population locale et l'emprise d'une autre¹. Dans les réserves autochtones, les magasins d'alcool et de tabac voisinent les casinos et les steakhouses. Loin de leurs origines animistes, de leurs traditions anti-matérialistes, les autochtones nord-américains ont pris le pire de la civilisation moderne. Ils survivent cloisonnés dans ces réserves que le gouvernement canadien a bien voulu leur céder, renoncant ainsi à l'assimilation totale, jugée trop sévère² mais renoncant également à leur attribuer une véritable autonomie totale dans un territoire plus vaste. Le cul entre deux chaises, l'autochtone est à la fois étranger sur ses terres ancestrales colonisées et incapable de prétendre à une souveraineté, confisquée par un gouvernement centriste (et donc mou).

Si je médite quelque peu sur la condition autochtone dans cette introduction c'est pour mieux appréhender la musique de BLACKBRAID. Ce premier album fait un carton, inutile de le cacher, et l'origine de Sgah’gahsowáh, tête pensante du projet, joue en sa faveur, en ce climat résolument woke³. Mon propos pourra choquer, mais c'est bien parce que ma déception est grande face à l'objet, moi qui suis profondément fasciné par ces peuples qui ont vécu l'enfer. J'attendais de ce "Blackbraid I" un Black Metal inédit, un souffle nouveau, et en particulier dans les trouvailles musicales inhérentes aux origines du sieur. Il n'en est rien. BLACKBRAID joue un Black Metal lui aussi colonisé. Surproduit, sans grand génie, blindé de poncifs, de riffs épiques qui peuvent parfois faire mouche (l'entrée de "The River Of Time Flows Through Me") mais aussi de morceaux durant lesquels on s'ennuie ("Prying Open The Jaws of Eternity"), cet album ne décolle jamais. Les parties Folk sont certainement les plus déprimantes. La guitare classique est souvent jolie mais fait peine à voir tant le potentiel était immense. Ici tout est définitivement standard, classique, attendu.

J'ose espérer que les efforts suivants seront plus audacieux, avec de vrais tentatives de renouer avec la terre et les morts autochtones. Puisse Sgah’gahsowáh retrouver la voie de ses ancêtres et nous offrir un Black Metal engagé pour honorer leur mémoire.

¹ Intéressant de souligner que dans son ouvrage "Le Grand Remplacement", Camus explique que ce qui est arrivé aux Amérindiens est l'exemple le plus probant de ce phénomène. Je rappelerai, car peu l'ont lu, que Camus est farouchement décolonialiste.

² Les scandales récents - parfois disproportionnés, mais qu'il ne faut pas occulter - liés aux pensionnats de l'Église au Canada accentuent bien sûr cette honte.

³ Notons une évolution significative du Black Metal : la subversion n'est plus là où on le croit. Est désormais considéré comme subversif ce qui participe somme toute d'une doxa évidente. Qui irait affirmer que les autochtones ne sont pas à plaindre ?