J'aime à penser les deux albums de l'ère Blaze Bayley comme les deux faces d'un même astre qui, en faisant sa révolution, laisse entrevoir brièvement son côté sombre avant que réapparaisse sa face lumineuse. Si "Virtual XI" est cette face lumineuse, "The X Factor" ne peut qu'être la face sombre de l'IRON MAIDEN post-Dickinson. Or, c'est bien connu : dans l'obscurité, on tente parfois des trucs qu'on n'oserait même pas esquisser en pleine lumière (ne faites pas les innocents…). C'est justement ce que se permettent les Britanniques sur l'opus de leurs vingt ans de carrière. D'une part, faire le choix d'une atmosphère plus sombre et de compositions plus complexes tout du long ou presque est un risque pour lequel la Vierge de Fer doit être reconnue. D'autre part, le pari de démarrer l'album par la pièce la plus longue est couillu. Et réussi.

J'avoue ne pas être parmi les plus grands fans de "Sign Of The Cross" mais c'est tout de même l'une des meilleures compositions de l'album et un morceau qui représente à lui seul l'essence de "The X Factor". Atmosphère pesante, tension permanente, voix grave et puissante de Blaze qui emplit l'espace sonore quand résonne le refrain : c'est le dixième longue-durée d'IRON MAIDEN en miniature, cette chanson. Ici, la Vierge de Fer broie du noir et l'anglais a cet adjectif si juste pour décrire l'ambiance de ce disque : brooding. Un qualificatif qui sied à une grande part de sa tracklist, du douloureux "Fortunes Of War" au martelé "The Aftermath", de l'accusatoire "Blood On The World's Hands" au plaintif "2 A.M." en passant par un "The Edge Of Darkness" meurtri. La plupart d'entre eux brillent d'ailleurs par leur tempo moyen, voire lent.

Toutes ces compos tiennent solidement sur leurs jambes, musclées comme rarement elles l'ont été chez MAIDEN. Les morceaux de "The X Factor" sont passés par la salle de musculation pour se tailler une carrure d'armoire à glace et ça n'est certes pas toujours gracieux, mais ça cogne fort. L'incongruité - oserais-je dire la laideur ? - de certaines intros ("The Unbeliever", qui irrite les tympans, "Judgement Of Heaven", plus Punk que Metal, "Blood On The World's Hands" qu'on croirait bricolée par un guitariste autodidacte balbutiant), surtout par rapport à la douce montée en puissance de quelques autres, est en total contraste avec l'impression conquérante que laissent ces morceaux une fois terminés. Car, oui, ils laissent des traces, tous ces titres. On les retient. On en fredonne les mélodies, les refrains, alors qu'ils sont tellement moins spontanés que ce à quoi IRON MAIDEN nous a habitués depuis ses débuts.

Bien entendu, je n'évoque pas par-là les tubes up-tempo très accrocheurs que sont "Lord Of The Flies" et "Man On The Edge", sur lesquels la voix mâle et pleine de Bayley fait merveille, car ils répondent à un schéma MAIDENien plus classique et sont devenus de quasi standards du groupe en peu de temps. Non, je veux parler de tous les autres, ceux que l'on ne sentait pas arriver et qu'à force de ne pas considérer sérieusement, nous déboulent en pleine face quand on ne s'y attend plus. Par bien des égards, les morceaux de "The X Factor" sont des paradoxes. Plus puissants que lorsque IRON MAIDEN tapait dans le Heavy fougueux. Plus accrocheurs en bout de piste qu'ils ne le sont au décollage, alors qu'Harris & Co. a toujours pris soin de soigner les premières mesures de ses compos.

Alors, oui, les Britanniques font encore une fois très long sur certains morceaux. Trop, même, sur "The Unbeliever" et sur "Fortunes Of War", qui met vraiment longtemps à démarrer avant de s'énerver sur ses dernières minutes, ainsi que sur "The Edge Of Darkness". En vrai, ce disque, c'est le début des albums de MAIDEN chargés ras-la-gueule. N'est pas irrésistible sur la durée qui veut : demandez aux groupes de Prog et de Doom, tiens, quels trésors de subtilité ils doivent aller chercher pour nous accrocher de bout en bout. La Vierge de Fer n'y parvient pas tout à fait mais ce dixième L.P. hanté, voire hantant, touche la corde sensible tout de même. À mon sens, il n'y a que trois albums d'IRON MAIDEN qui nécessitent d'être écoutés d'un bloc et plusieurs fois - j'insiste : d'un bloc et plusieurs fois - pour être appréciés à leur juste mesure. Parce qu'ils offrent une unité de ton et d'atmosphère qui les rend d'office plus hermétiques. Il s'agit, dans l'ordre antéchronologique, de "Senjutsu", "A Matter Of Life And Death" et "The X Factor". Trois albums qui se méritent.